59. Noces chimiques

Le pommier planté au-dessus du corps de la navigatrice était maintenant un grand arbre majestueux au tronc large et épais et aux frondaisons bruissantes.

Au fronton du bâtiment de la mairie, le calendrier indiquait : An 60e. Mois 5e. Jour 13e. C’était le règne de ce que l’on nommait déjà la troisième génération.

Alors que la première génération avait lancé la mode des vêtements bariolés à motifs fleurs ou papillons, la seconde génération avait, probablement par réaction, choisi des couleurs pastel et des impressions à rayures et carreaux. La troisième, quant à elle, était résolument allée vers le noir et le blanc, avec pour seuls décors des étoiles claires sur les vêtements noirs et des planètes foncées sur les vêtements blancs.

Le plateau du cimetière s’était transformé en verger et l’on en avait déjà aménagé un second sur un plateau voisin.

Paradis-Ville s’était progressivement étoffée d’une banlieue de petites villas individuelles agrémentées de jardins étroits. Les gens aimaient de moins en moins vivre à plusieurs dans la même maison, et les portes étaient équipées de serrures, signe, après un certain sens de la vie collective, d’un retour vers la vie individuelle.

Il fallait attendre le soir pour que les Papilloniens se retrouvent en foules serrées dans les boîtes à la mode, à danser sur des musiques syncopées assourdissantes.

C’était ce qu’on appelait les « transes collectives ».

On y voyait tout le monde sauter à l’unisson.

La télévision, après avoir retransmis les spectacles vivants joués dans l’amphithéâtre, se mit à produire ses propres fictions. Celles-ci s’avéraient violentes, comme si les gens avaient naturellement besoin d’expulser leur venin caché.

En gastronomie la mode était à la nourriture épicée et les champs de piments, de moutarde et de poivriers devenaient nombreux.

Cependant, Zoé-27, la jeune remplaçante de Jocelyne-1 au poste de maire, n’avait ni son autorité ni son charisme. Adepte des plaisirs immédiats, elle désertait sa mairie et ne faisait qu’organiser des orgies et des fêtes sous le prétexte de lutter contre l’ennui.

De l’observation des fourmis, elle n’avait retenu que l’idée « Chacun fait ce qu’il lui plaît ». Et après une période d’ordre sur la lancée de l’équipe fondatrice, il y eut une période de laxisme. Pour ne pas compliquer la vie de tous, les tribunaux ne condamnaient plus les délits, se contentant d’excuses publiques. Les prisons furent ouvertes et leurs occupants libérés au nom de l’entente générale.

Seuls Éli-1, Élo-2 et Éla-1, les trois enfants d’Yves et Élisabeth, essayaient de tirer la sonnette d’alarme, mais on les considéra rapidement comme des « tristes ». Ce qui était devenu une grande insulte à cette époque de réjouissances quasi obligatoires. L’assemblée des sages ne réagit pas.

Comme plus personne ne voulait travailler aux tâches pénibles au nom du même principe de « Chacun fait ce qu’il lui plaît », la récolte fut décevante et la nourriture commença à manquer.

C’est alors qu’apparut un certain Luc-66 qui monta une bande de jeunes et l’entraîna à cambrioler les maisons en faisant sauter les serrures à coups de barres de fer ou en s’introduisant par les fenêtres ouvertes.

Il fut arrêté par ce qui restait de police, mais rapidement libéré dès qu’il eut fait ses excuses publiques.

Dès lors, Luc-66 comprit qu’il devait y aller plus franchement. Il réunit une bande armée et saccagea Paradis-Ville. Il prit en otage la mairesse et quelques sages de l’assemblée, en tua quelques autres pour être sûr d’être pris au sérieux. L’opération eut un effet-choc. Beaucoup étaient déjà prêts à se soumettre à sa loi. Il faillit prendre le pouvoir mais Élo-2, qui avait maintenant 60 ans, sut monter rapidement une contre-armée qui fit front.

Les deux bandes dès lors grandirent simultanément.

Les pro-Luc-66 contre les pro-Élo-2.

La guerre entre les deux groupes dura plusieurs semaines.

À leur grand étonnement les membres des deux armées se régalaient de tuer leur prochain. C’était bien mieux que le Carnaval. Donner la mort avait quelque chose d’autant plus jubilatoire qu’ils bravaient le plus fort interdit de leur société. Défendre l’ordre et défendre le désordre dès lors s’avéra un même prétexte pour se défouler.

Ils se tuaient avec des flèches, des lances, avec des lance-pierres, parfois à coups de poing. Les maires prirent bien vite un ancien titre terrestre dont on avait oublié le sens exact : roi.

Ainsi apparurent dans le Cylindre Élo-2, la vieille reine du Paradis, et Luc-66, le jeune roi de l’enfer.

Et à son grand étonnement, Élo-2 révéla des talents de stratège et de guerrière qu’elle n’aurait jamais soupçonnés si les circonstances ne l’y avaient forcée.

Dès lors ce fut comme une partie d’échecs.

Le premier qui eut l’idée des attaques de nuit marqua un point.

Le premier qui eut l’idée d’utiliser des groupes à vélo pour attaquer plus vite et en meute marqua un autre point.

Ils avaient l’impression de tout réinventer : les missions commandos, les prisonniers, les otages, les espions, les tortures, les trahisons.

On vit des charges opposant des centaines d’hommes à vélo, sorte de cavalerie mécanique légère, contre des lignes d’archers. Des groupes de cyclistes armés attaquaient d’autres groupes de cyclistes armés. Il y eut des tranchées. On se battait par moments sur des lignes de front se prolongeant jusqu’au ciel, voire formant des anneaux complets face à d’autres anneaux complets.

Ce premier conflit généralisé fit une bonne dizaine de milliers de victimes. Signe du temps : par commodité on ne les enterra plus individuellement mais collectivement dans une grande fosse commune pour chacun des camps.

Finalement, épuisés, les deux monarques firent la paix, et il se construisit une palissade qui définit une ligne de démarcation dans le Cyclindre séparant la zone ayant Paradis-Ville pour capitale de la zone d’Enfer-Ville.

Par chance il y avait toujours un skipper pour diriger le Papillon des Étoiles et ce dernier continuait à voguer, ses longues ailes dorées gonflées de lumière tenant malgré tout le cap des trois lueurs.

La lumière du soleil d’origine avait faibli avec la distance et deux ou trois astéroïdes qu’on n’avait pas su éviter étaient venus cribler les deux grandes voiles de Mylar.

Imperceptiblement, le Papillon commençait à décélérer à 2,5 millions, puis à 2,2 millions de kilomètres-heure.

 

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